LA CROIX DU MIDI
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* La croix du midi
N°16/4384 ( page 1 & 14 ) - Jeudi 17 Avril 1997 -
Perpignan
KITSCH ET SAUCE KETCHUP
Le (vamp) pire des films de peur
Le paisible village de pollestres ne se doute pas qu'il abrite depuis
nombre d'années un... vampire! Ses armes : un camescope et beaucoup d'imagination. Son
plan : réaliser un film. Les crucifix et les gousses d'ail n'y feron rien. Rencontre avec
le monstre.
Bruno Estraguès est un singulier personnage. Tout commence pour lui en 1987, dans une
salle obscure du cinéma Le Castillet. Sur l'écran, un film d'épouvante : "Aux
frontières de l'aube", première réalisation de la talentueuse Kathlyn Biglow
("Point break", "Strange Days"...). Une sombre histoire de vampires.
Un << road movie>> sur fond de pleine lune en Arizona. << C'était comme
un flash dans ma tête, j'ai tout de suite adoré cette histoire, j'étais... mordu!
>>. Bruno est préparateur-auto et cinéaste amateur. Equipé du camescope familial
et d'une bonne dose de sang-froid, en novembre 1995, il commence le tournage des scènes
de son premier film : <<L'appel de la nuit>>. Une horde de copains et sa
soeur, Valérie, dévouée aux Carpathes, sont tour à tour acteurs, scénaristes et
preneur de son. A l'arrivée : un moyen-métrage de 1h14 (dont 27 mn de bêtisier)!
<< Nous avons attendu la pleine lune pour tourner les premières scènes. C'est
drôle, dès le début il y avait une sorte de mauvais sort sur mon projet..>>. En
effet, l'un des acteurs fait une chute dans les escaliers, il doit arrêter. Un couple se
forme parmi les comédiens et laisse Bruno "en plan". Quoi qu'il en soit,
passionné, il continue mordicus son projet. Une aventure qui mène cette équipée dans
des situations cocasses. "Un copain m'avait prête des fumigènes. Lors du tournage,
l'appareil s'est cassé et nous étions noyé dans la fumée. J'ai dû rapidement louer du
matériel en état.". Trois bouts de skotch, du ketchup et beaucoup d'idées et
d'astuces permettent de réaliser les effets spéciaux. Quant aux finances : "C'est
là le plus difficile. Je sacrifie tout pour mon film. Mes collègues de travail se sont
cotisés et j'ai ainsi pu obtenir un pécule". Des anecdotes, Bruno n'en manque pas.
Les yeux pétillants, il narre ses multiples péripéties. "J'ai écrit au PDG des
stations essence Total pour avoir le droit de tourner des scènes à la station de
Perpignan. J'ai aussi demandé à la SACEM l'autorisation d'utiliser certaines chansons.
Je tiens à ce que tout soit fait dans la légalité, quitte à ce que cela complique la
réalisation de mon film". Il va même jusqu'à acheter des prothèses dentaires pour
les canines de ses vampires, et fabrique lui-même le cercueil de la créature. Un souci
de réalisme... mordant. Bruno ne se lasse pas d'expliquer son film. Il brandit ses
innombrables cahiers coloriés par les "story-board". Il inonde son auditoire
d'une kyrielle de détails insolites. Son histoire, celle d'un passionné, il sait la
communiquer. Tout comme Ed Wood, cinéaste américain qui laisse encore son empreinte sur
les années 50.
L'insolite génial
Ed Wood (dont l'histoire est mise en scène par le
réalisateur Tim Burton dans le film éponyme), réalisait des films de science-fiction et
d'épouvante avec des moyens financiers proches du néant. Taxé de fou par les
producteurs de cette époque, boudé par un public qui le qualifiait de "plus mauvais
cinéaste de tous les temps", Ed Wood n'en reste pas moins aujourd'hui
<<le>> personnage insolite et génial du cinéma fantastique. Bruno marche sur
les traces de ce géant incompris. Il sacrifie tout sur l'autel de la futilité, investi
de la volonté de voir aboutir son rêve : "Katrina". "Katrina", c'est
le nom de son prochain film. Bruno est pugnace. Alors que "Lappel de la nuit"
est en cours de montage, il fourmille déjà d'idées pour cette nouvelle réalisation.
"J'ai beaucoup appris depuis "L'appel de la nuit". Maintenant je me sens
prêt pour "Katrina", je suis plus mature...".
Donjons et souterrains
"Katrina" relate la "vie"
d'une superbe créature de la nuit, vampirisée au Moyen-âge et maudite pour
l'éternité. Bruno a tout prévu. L'histoire commence au fort Libéria à
Villefranche-de-Conflent où il a obtenu le droit de filmer. Souterrains et donjons,
prises de vue nocturnes, frissons garantis. Il a aussi prévu des costumes d'époque,
acheté un camescope plus perfomant, élaboré un script plus riche. Mais là où le bât
blesse, c'est que Bruno n'a pas encore trouvé la perle rare qui chaussera les canines de
la cruelle Katrina. "Je veux pour ce rôle une fille superbe. Vraiment belle. Mais
attention, il faut qu'elle sache marcher avec des talons aiguilles!". Car c'est
l'arme de cette enfant de la nuit : "Elle égorge ses victime avec ses talons
aiguilles pour ensuite s'abreuver de leur sang!". Rappelons que cela reste du
cinéma, et Bruno en a bien conscience. Son souci n'est pas de faire du "gore",
mais de "produire un long métrage où l'esthétisme des images sera une
priorité". Lorsqu'on le questionne sur ses ambitions au sujet de ses films, modeste,
il répond : "aucune si ce n'est celles de les mener à terme". Ce constat est
celui de quelqu'un qui suit ses instincts, sa passion. A une époque où il est de plus en
plus difficile de concilier rêve et réalité, Bruno est l'exception. Son rêve va
bientôt se réaliser, "L'appel de la nuit" sera d'ici peu porté sur écran. Ce
sera samedi 19 avril à Toulouges dans une salle importante. <<les municipalités
louent leurs locaux beaucoup trop cher>>. Pourtant Bruno garantit une salle comble :
<< Tous mes amis, tous ceux qui m'ont aidé et même les gens de Pollestres, mon
village, sont impatients de voir mon film.>>. Le mordu de Pollestres n'en démord
pas : il invite tous ceux qui sont intéressés par son film à le contacter. Les mairies
auraient-elles peur des vampires?
Christophe Dessaigne avec Patrice Teisseire
LES VAMPIRES AU CINEMA
De tous les grands monstres de la mythologie fantastique, le vampire est celui qui a le
plus stimulé l'imagination des scénaristes et des réalisateurs. La longue (et sans
doute encore incomplète) liste d'oeuvres qui lui a été consacrée le prouve. Ces
dernières années, une recrudescence de long-métrage ont remis au goût du jour ce mythe
saigné à blanc. Francis Ford Coppola et son terrible "Dracula".
"Entretien avec un vampire", adaptation du roman d'Ann Rice. Hollywood
s'engouffre corps et âme dans les remake de pièces d'anthologie d'une autre époque. Le
tout premier film réalisé sur le sujet est le légendaire "Nosferatu", tourné
en 1922 par Friedrich Willhem Murnau et largement inspiré du roman de Bram Stocker dont
il suit fidèlement la trace. Le film possède une spécificité intrinsèque qui le lie
étroitement à l'expressionnisme germanique dont il marque l'apogée. Dans les année 30,
les studios Universal font frissonner le public avec Bela Lugosi dans le rôle du
célèbre Comte. Les années 60 seront celles de Christopher Lee qui symbolise encore pour
beaucoup le vampire. Bela Lugosi, quant à lui, finissait sa vie méprisé des
réalisateurs. Il tourne ses derniers films avec Ed Wood, puis s'éteint. Depuis, le mythe
des Carpathes n'a de cesse de croître. Fermez bien vos fenêtres, les nuits d'été
seront longues... |