En adaptant très librement la nouvelle de Stephen King et en tablan sur un sujet d'actualité, la réalité virtuelle, Brett Leonard vient de décrocher le jackpot. Surprise de ce début d'année au box-office US, Le Cobaye marie la science-fiction de papa aux technologies visuelles de pointe.
Votre nom n'est pas encore familier du public. Faites
donc les présentations...
Avant de tourner Re-Animator Hospital en 1989, ma femme
et moi avons longtemps travaillé sur des courts-métrages,
sur les projets des autres. J'ai tout fait, de clapman à chef opérateur
en passant par réalisateur de deuxième équipe, celui
qui se charge de mettre en boîte les scènes d'action d'après
les directives du metteur en scène. Pendant huit ans, en Californie,
nous avons collaboré à une foule de petits budgets, Killer
Klowns, Survival Game... Nous acceptions toutes les propositions, tous
les boulots liés au cinéma. Il fallait bien vivre. Entre
deux contrats, j'écrivais mes propres scripts. Dieu merci, cette
période est désormais derrière nous. Avec Re-Animator
Hospital, J'ai tourné le film de zombies dont je rêvais depuis
longtemps, un film très sanglant, très bon marché,
qui n'a rien à voir avec Le Cobaye.
Les lecteurs de la nouvelle de Stephen King, à
l'origine du Cobaye, risquent fort d'être surpris...
Elle fait sept pages et il était impossible d'en
tirer un scénario de long métrage. Etant un grand fan de
Stephen King, j'ai essayé d'intégrer l'esprit de la nouvelle
dans une histoire essentiellement orientée vers la réalité
virtuelle. Le film et la nouvelle ont en commun un jardinier et une tondeuse
folle, c'est tout ! Lorsque Stephen King a vendu, en 1975, les droits du
récit, il a aussi vendu le droit d'utiliser son nom. Les responsables
du marketing de New Line, le distributeur américain, ne l'on pas
ignoré. En fait, Le Cobaye découle de ma fascination pour
la réalité virtuelle, une technologie nouvelle que je voulais
faire découvrir au public. Son concept même est si visuel,
si cinématographique. Je désirais également extrapoler
sur ses aspects à la fois positifs et négatifs. D'ici cinq
à dix ans, la réalité virtuelle rentrera très
largement dans notre vie quotidienne, à travers les loisirs surtout.
Jusqu'à présent, elle était réservée
à la recherche militaire, à la Nasa.
Votre Docteur Angelo (Pierce Brosnan) ressemble à
un Frankenstein des années 90...
Absolument. Je l'ai voulu ainsi. Dans sa structure narrative,
Le Cobaye est proche du roman de Mary Shelley. Son livre est une anticipation
du monde pré-industriel du début du siècle, mon film
est une anticipation du monde post-industriel qui nous attend pour l'an
2000. Mais mon savant ne se comporte pas vraiment comme Frankenstein. Angelo
est un baba cool, comme la plupart des pionners de la réalité
virtuelle, des gens que je connais pour les avoirs longtemps fréquentés
et qui demeurent encore très attachés à la culture
hippie.
Si Angelo tient de Frankenstein, Jobe, lui, évoque
le simple d'esprit de Charly, rendu supérieurement intelligent par
la science.
Dans le premier quard du Cobaye, Charly et Jobe possèdent
les mêmes caractérisques. Ils sont proches du simplet de "Des
souris et des hommes", de tous ces personnages purs et innocents qui jalonnent
l'histoire de la littérature. Comme Charly, Jobe subit l'influence
néfaste de la science. Et c'est là que leur destin se sépare.
Mon Jobe devient alors une sorte de monstre de Frankenstein. De l'être
le plus nature qui soit, le plus gentil, il devient la créature
la plus inhumaine que l'on puisse concevoir.
Votre film est très empreint de religion. Vous
mettez en scène un prêtre, Jobe se prend pour Dieu. Et il
crucifie même Angelo !
Mon intention était de tourner un film gothique.
Pour cette raison, j'ai intégré dans le scénario des
éléments propres à la religion, l'église, les
icônes, la crucifixion... Le Cobaye taitant d'une technologie pouvant
influer sur le devenir de l'être humain, la métaphore me paraissait
obligatoire, même dans un contexte de science-fiction. Je pense aussi
que la science devient aujourd'hui une nouvelle religion pour beaucoup
d'hommes. Elle est une expérience ultime qui vous pousse vers un
autre monde, qui bouleverse vos croyances. Dans Le Cobaye, la symbolique
religieuse me semblait un bon moyen de refléter tout cela. Le film
touche aussi à la manipulation. A tous les niveaux, la manipulation
survient. Le scientifique manipule le cobaye, l'Agence des Services Secrets
manipule le scientifique, le gouvernement manipule les Sevices Secrets...
Au finish, le film manipule le public.
Vous n'êtes pas tendre avec le prêtre.
C'est un sadique, un fanatique qui pique tout son argent à Jobe
et le loge dans une cabane misérable...
Le prêtre est entièrement responsable de
la folie de Jobe. Il le culpabilise, l'enferme, l'amène à
vivre dans la crainte permanente de Dieu. Evidemment, sous l'influence
de la réalité virtuelle et des drogues, Jobe atteint une
intelligence supérieure, mais ses obsessions religieuses se développent
au point qu'il finit par se prendrepour Dieu. Le prêtre est définitivement
le personnage le plus pourri du Cobaye, bien plus encore que les agents
du gouvernement. Dans une version plus longue de vingt-cinq minutes que
New Line devrait sortir en vidéo, j'explore davantage les liens
qui l'unissent à Jobe. On y comprend mieux son évolution
psychologique.
Quelle est exactement l'influence du metteur en scène
sur des images de laboratoire comme celles du Cobaye ?
En compagnie de ma femme qui est aussi co-productrice
du Cobaye, j'ai supervié tous les effets spéciaux. C'était
vraiment comparable à la direction des comédiens dans la
mesure où nos effet spéciaux sont tridimensionnels. Cela
n'a rien à voir avec les deux dimensions du dessin animé.
Dans la réalité virtuelle, la caméra peut bouger de
la même façon que sur un plateau, sinon plus facilement encore.
Je considére les graphiques informatiques comme des éléments
du décor et les formes cybernétiques humanoïde comme
des acteurs. Cela permet d'exprimer des émotions, de déplacer
la caméra... Le metteur en scène dispose de la même
liberté de manoeuvre que sur un tournage classique. La seule différence
: tout se passe sur l'écran d'un ordinateur, vous donnez vos instructions
aux informaticiens, et eux créent la scène sous votre contrôle.
Quel avenir prédisez-vous pour les images virtuelles
?
Elles vont être de plus en plus présentes
dans les jeux d'arcade. Leur aspect ludique sera d'abord exploité,
surtout dans les parcs d'attractions. Cela aboutira probablement à
un nouveau moyen de communication, à un cinéma totalement
révolutionnaire. Mais cela, c'est dans un futur encore lointain.
Actuellement, les images virtuelles trouvent des tas d'application, en
matière médicale notamment. Les chirurgiens opérent
un patient virtuel avec toute une gamme de scénarios avant de s'attaquer
à une véritable opération.
Dans Le Cobaye, vous inventez le sexe virtuel. C'est
dans le domaine du possible ?
La réalité virtuelle va être utilisée
dans ce domaine parallèlement aux jeux. Le téléphone
rose étant une affaire qui rapporte beaucoup d'argent, le sexe virtuel
devrait encore contribuer à la rentabilité de ce marché.
Des gens y travaillent déjà. C'est assez effrayant à
vrai dire. L'amour n'est pas à prendre à la légère
et cette technologie peut annihiler toute intimité. Avec le Sida,
cette pratique ultime du "safe sex" peut contenter un grand nombre de gens.
Mais si vous atteignez le plaisir grâce à un ordinateur, à
quoi bon rechercher la compagnie d'un être humain ? En arriver là
n'est vraiment pas souhaitable. La réalité virtuelle peut,
ainsi, être à la fois la meilleure et la pire des choses.
Propos recueillis par Marc TOULLEC (Juillet 1992)