Elles sont nombreuses les boîtes d'effets spéciaux,
d'informatique, à avoir apporté leur concours au Cobaye.
L'une d'elles, Angel Studios, peut se vanter d'avoir réalisé
huit minutes absolument extraordinaires, principalement dues à Scenix,
un programme sur ordinateur. Brad Hunt, son inventeur, et quatre autre
animateurs, tiennent ainsi les rênes du film. Leur fleuron : CyberJobe,
alter ego virtuel de Jobe, le simple d'esprit incarné par Jeff Fahey
dans la réalité. L'opération qui consiste à
transformer le comédien en créature artificielle passe d'abord
par l'étude maniaque de 70 photographies. Pris sous tous les angles,
sous toutes les coutures, variant au maximun les expressions faciales,
Jeff Fahey fournit la matière première pour une réplique
de lui-même. Les animateurs de Angels Studios lui demandent même
de réciter tous les dialogues de CyberJobe afin de simuler très
exactement le mouvement des lèvres. Cet enregistrement audio assure
la transition entre le naturel et l'artificiel. Après quoi, les
as du computer de Angel Studios gribouillent un dessin du visage du comédien,
lequel croquis est introduit dans l'ordinateur. Jeff Hayes, un des animateurs,
crée alors, sur son clavier, une armature squelettique reproduisant
fidèlement tous les mouvements, corporels et faciaux, du vrai Jobe.
Sur ce modèle animé, un autre animateur, Paul Lewis, dégrossit
ce qui ressemble encore à un androïd pataud : il colorie la
peau, dessine les cheveux, les dents, les yeux. La création de CyberJobe
s'apparente étroitement à la sculpture : un modèle
immobilisé, une matière première qui n'est plus de
la glaise ou du marbre mais une animation en trois dimensions sur un écran.
"Nous voulions élaborer un personnage qui ne soit
pas seulement beau à regarder mais qui puisse également soutenir
une histoire, suivre les indications du metteur en scène, un personnage
assez consistant pour que la transition entre action réelle et virtuelle
soit parfaite et évidente" conclut le chef animateur de Angel Studios,
Michael Limber. "Plus particulièrement dans Le Cobaye, la
fluidité des mouvements et la souplesse des articulations comptent
davantage que le réalisme d'une apparence physique". Le témoignage
de Jill Hunt soutient surtout la phase CyberSex, séquence érotique,
réalisée grâce à un programme baptisé
"animation hiérachique". Ce procédé permet surtout
la connexion parfaite des corps, une simulation de toute beauté.
"Cette scène est plus suggérée qu'explicitement graphique.
Entre deux ébats des amants cybernétiques, la caméra
revient sur les humains reliés au CyberSex". Pour endiguer la froideur
du matériau, pour ne pas choquer le spectateur et lui balancer zizi
et foufoune cybernétiques en plein dans les mirettes, Angel Studios
compense par des couleurs chaudes. "Imaginez que vous rentrez chez vous
après une rude journée de travail et que, dès lors,
vous vous plongez dans une réalité virtuelle. Plutôt
que de vous servir un verre, de prendre un journal ou de regarder les informations
télévisées, que diriez-vous de sexe virtuel ?" suggère
Jill Hunt, chargée également de l'environnement "relaxant"
du Cobaye.
Virtuose dans l'art de simuler le mouvement et de dupliquer
les formes, Angel Studios sait aussi bâtir un environnement totalement
préfabriqué, sans rapport avec le quotidien, une parcelle
d'imaginaire douillette, confortable, anti-stress : le "relax environement".
Jill Hunt, toujours elle, se place désormais en véritable
peintre surréaliste. Ce simili-univers relax appelle au repos :
des tâches fluorescentes recouvrant un sol secoué d'une houle
permanente, des rideaux d'une espèce de lave multicolore en fusion,
un paysage volcanique d'une beauté inouïe, des sphères
en lévitation... Et là, dans cet Eden de synthèse,
flottent les personnages. Des personnages métamorphosés dès
que Angel Studio les engage dans le CyberBoogie, jeu informatique emprunté
à Tron. Moitié-humains, moitié-bolides, ils
filent sur fond de circuit intégrés, de formes géométriques.
Nous sommes bien dans un flippeur géant et le joueur doit passer
par trois paliers variablement complexes. Dans le premier, il se déplace
à grande vitesse dans un tube aux dimensions du tunnel sous la Manche.
Le survivant peut alors affronter la mort dans une immense chambre sphérique
minée de gadgets speeds, imprévisibles et aux formes contondantes.
Au finish, les finalistes ont vraiment peu de chance de sortir encore entier
du "monde-tranchant". Ils continuent de glisser dans une large galerie
hérissée de portes coulissantes qui sortent brusquement des
parois, se referment, s'ouvrent comme des mâchoires prises de mouvements
hystériques. Le CyberBoogie, ou les Intervilles du futur !
Les performances de Angel Studios ne constituent pas
l'ensemble des effets spéciaux du Cobaye. Une autre compagnie
informatique, Xaos, basée à San Francisco, prend en charge
quelques unes des autres séquences du monde virtuel du Cobaye.
Tandis que Angel s'appropie de longs passages en constant décalage
avec la réalité, Xaos garde davantage les pieds sur terre
en combinant étroitement prises de vues réelles et animations
par ordinateur. "Par exemple, pour montrer Jobe quittant son environnement
mental, nous filmons le comédien Jeff Fahey devant un blue-screen,
procédé très classique. De là, son visage éclate
en des milliers de particules et se reconstitue ensuite. Dans l'intervalle,
le décor qui l'entoure change. Le spectateur remarque surtout le
personnage explosant littéralement. De minuscules segments voltigent
dans les airs, se dispersent. Pour ces effets spéciaux-là,
nous avons mis à contribution des ordinateurs classiques spécialisés
dans l'animation. Par l'intermédiaire de leur programme, nous concevons
un environnement par étapes successives, puis nous y intégrons
des figures en trois dimensions sans qu'on ait besoin d'intervenir sur
ce qui a déjà été accompli". Tête chercheuse
et pensante de Xaos, Helene Plotkin place ses prouesses à un niveau
modeste. Et pourtant, il y aurait de quoi pavoiser. Dans la séquence
où, pour la première fois, Jobe rencontre l'invention de
Dr. Angelo notamment. "Vous voyez à l'écran des images générées
par ordinateur de la main de l'acteur et comment celui-ci agit à
l'intérieur du monde virtuel. C'est un peu comme se placer dans
une salle de contrôle bourrée de moniteurs vidéo diffusant
des choses incroyables". Pour son baptême du feu, Jobe goûte
à une nouvelle façon d'être provoquée par les
stimulations de son cerveau ; il assiste sur un écran de télévision
au périple de sa main dans un autre univers. La suite le projettera
en entier de l'autre côté du miroir. Au centre de cet impressionnant
déploiement de savoir-faire et de technique de pointe, Le Cobaye
inclut également des méthodes plus traditionnelles, comme
le maquillage effectué par John Buechler, le père des Ghoulies
et autres marionnettes généralement mal articulées.
"J'interviens lorsque Jobe se métamorphose en créature purement
cybernétique. Nous avons simplement construit une réplique
du corps de Jeff Fahey d'après un moulage en silicone. D'après
le moulage, nous façonnons alors un buste de cire rempli de câbles
reliés à des manettes de commande. Quand le Dr. Angelo pose
la main sur Jobe, alors dans un état physique proche de la statue
de sable, celui-ci se dégonfle comme une baudruche" témoigne
John Buechler, petit artisan de la prothèse au milieu des génies
de l'informatique.
"Le Cobaye montre aujourd'hui à ses spectateurs
ce qui sera courant dans cinq ans". En jouant ainsi les prophètes
à court terme, Brett Leonard ne prend guère de risques. Déjà,
l'armée américaine utilise ces images dans de petites mises
en scène simulant des batailles et leurs multiples développements
possibles. On annonce aussi du virtuel dans le spectacle télévisé,
dans l'éducation. Angel Studios oeuvre actuellement dans les murs
de l'Université de San Diego en vue de mettre au point le prototype
d'un jeu vidéo utilisant les images virtuelles. Solopod, que ça
s'appelle. Fin 1992, début 1993, MCA Technology, dans le cadre des
attractions de la visite des Studios Universal, mettra un pied dans le
21ème siècle en expérimentant CyberArc, univers artificiel
dans lequel le touriste, à l'aide d'un casque spécialement
conçu et de gants métallisés, pourra assister à
ses déplacements par écran 3-D interposé. D'ici qu'il
soit réellement transporté dans le jeu, il n'y a pas loin.
"En cette fin du siècle, nous allons assister
à de multiples rencontres entre le corps, la pensée et la
machine. Le Cobaye met en scène cette mythologie. Contrairement
à la Révolution Industrielle du début du siècle,
dont les signes sont extérieurs, nous faisons désormais face
à une nouvelle espèce de technologie pouvant influer de l'intérieur
sur l'existence humaine, l'amener à se bonifier ou à se détériorer".
En la matière, Le Cobaye affiche un pessimisme évident.
Mais cette expérience cinématographique ne devrait plus tarder
à empiéter sur notre quotidien.
Marc TOULLEC (Mai 1992)