Eric Red, celui qui imagina le terrifiant et indestructible auto-stoppeur de Hitcher, est également à l'origine du sujet de Near Dark, qu'il co-signa avec la réalisatrice. Nous l'avons interrogé sur ses sources d'inspiration et aussi sur ses réactions face au produit final...
Eric Red
Bien que lié à vos autres films (Hitcher,
Cohen and Tate) par des facteurs clefs, Near Dark en diffère par
son sujet qui fait appel à l'un des plus beaux mythes du fantastique
: pourquoi l'avoir choisi ?
C'était une tentative pour raconter de façon
rationnelle ce qui se passerait si les vampires existaient aujourd'hui,
sans avoir recours à l'imagerie traditionnelle : ils seraient probablement
très solitaires et désespérés. Il y a quelque
chose de profondément dramatique dans le fait qu'ils ne puissent
par survivre en plein jour : que faire lorsqu'on se retrouve au milieu
des étendues du Middle-West au lever du soleil ? Il n'y a pas d'endroit
où se cacher. C'est l'un des points de départ du film. C'est
aussi l'une des seules conventions que nous ayions respectées. Le
vampirisme est vécu ici comme une dépendance à une
drogue.
Avez-vous vu Lost Boys ?
Oui, après avoir fait Near Dark. On y retrouve
pour le coup toutes les conventions les plus rebattues du mythe vampirique
: l'ail, les pieux dans le coeur, rien n'y manque. Techniquement, c'est
un film merveilleux, admirablement filmé avec une caméra
très mobile. Mais la prodigieuse réalisation n'empêche
pas le sujet d'être incroyablement conventionnel.
Les vampires de Near Dark exercent sur leurs victimes
la même fascination que celle de l'auto-stoppeur de Hitcher. Quels
sont les éléments qui, selon vous, déterminent cette
fascination ?
Les tueurs sont monstrueusement efficaces ! Ils font
le maximum d'effet parce qu'ils fonctionnent au premier degré. C'est
ce qui fait leur force. Je crois que les meurtriers de mes films remplissent
leur rôle à la perfection.
Les rôles sont souvent renversés, tout
de même : à la fin de Near Dark, le héros qui est devenu
un vampire, est en position de détruire la communauté des
morts-vivants, tout comme l'auto-stoppeur de Hitcher se retrouve à
la fin dans la peau de la victime...
Cela fonctionne dans les deux sens, en effet...
Bien que réunis en une micro-société
faite, apparemment, pour les préserver, les héros de Near
Dark demeurent chacun isolé dans leur marginalité. Pourquoi
?
Je crois que les marginaux, aussi individualistes soient-ils,
ont toujours tendance à se regrouper, à former une communauté
propre. C'est vrai aux Etats-Unis où l'on trouve un grand nombre
de ces groupes de marginaux - regardez les punks, les Hell's Angels, Jesse
James et sa bande - mais c'est vrai partout ailleurs. New York, d'où
je suis originaire, a toujours entretenu ce genre de marginaux. Sociologiquement,
c'est un phénomène bien américain, mais je dirais
qu'il est parfaitement international. Il y a autre chose : leur différence
fait que, même s'ils ne s'aiment pas beaucoup, les personnages du
film sont obligés de vivre ensemble pour survivre. Des liens d'amour
un peu particuliers peuvent aussi se nouer, évidemment.
Pensez-vous que la société et la communauté
ne soient qu'un leurre inapte à sauvegarder celui qui se sent différent
?
Exactement. Autant vous le dire tout de suite, je n'ai
pas très confiance en la société. Vous vous en étiez
aperçu, peut-être ? (rires). Je crois que tous les jours,
les faits nous prouvent que nous vivons au fond dans un monde très
primitif. Le film est sous-tendu par un thème "survivalist" assez-fort.
Le fait que vous viviez à New York n'est peut-être
pas étranger à ce sentiment ?
Peut-être. Je vis à Manhattan. C'est une
ville formidable et que j'adore, ne serait-ce que parce qu'on y rencontre
toutes sortes de gens. Mais c'est une ville violente, agressive. Il se
peut, en effet, que la violence de la vie new-yorkaise ait une influence
sur mes films. Mais j'ai beaucoup vécu au Texas, qui est un état
dans lequel la conscience nationaliste est très fortement implantée.
La plupart du temps, aux USA, on peut venir d'à peu près
n'importe quel état, ça n'a pas d'importance, mais quand
on vient du Texas, c'est autre chose !
Near Dark est-il un film en accord total avec votre
ligne d'écriture, et en quoi correspond-il précisément
à ce que vous souhaitiez ?
Je ne suis pas complètement satisfait du résultat.
Je n'en suis pas mécontent non plus, simplement, je crois qu'on
aurait pu en tirer quelque chose de meilleur. Je crois que, quand on fait
un film traitant de situations qui dépassent l'homme, il faut rester
très réaliste. Le thème doit être bien ancré
dans la réalité depuis le départ, autrement on n'y
croit pas. Le film est en peu trop stylisé pour moi, mais les acteurs
sont remarquables et les personnages n'auraient pas pu être mieux
mis en scène.
Que pensez-vous du choix qui a été fait
de confier le rôle principal de Near Dark à Lance Henriksen,
et comment définiriez-vous son personnage ?
Lance Henriksen est parfait dans ce rôle. C'est
Jesse James, le chef! C'est lui le plus âgé du groupe, le
meneur de jeu. Il y joue depuis des centaines d'années. Et s'il
est responsable des autres c'est parce que c'est lui qui détient
le plus de solutions aux problèmes qui peuvent se poser au groupe.
Croyez-vous que le fait que la réalisation ait
été assumée par une femme ait eu une influence particulière
sur le sujet, et à quel niveau cela s'est-il opéré
?
Je vous rappelle que nous avions écrit le scénario
ensemble. Maintenant, il se peut que, de ce fait, le traitement ait été
un peu plus stylisé et que le film soit davantage tiré vers
le fantastique. Mais ce sont les femmes qui mènent le monde, n'est-ce
pas?
Propos recueillis par Alain Schlockoff. (Novembre 1988)