Entretien avec Michael Limber.

Devant sa batterie d'ordinateurs de Angel Studios, Michael Limber n'avait jusqu'ici travaillé que sur des pubs, des jeux vidéo (dont le fameux Dragon Warrior pour Nintendo). Aucun cinéaste n'avait encore requis les services de cet architecte et concepteur industriel de formation, de ce pionner d'une nouvelle race d'effets spéciaux, les images virtuelles, celles du 21ème siècle. Le Cobaye de Brett Leonard est donc le premier à se risquer dans son laboratoire...

Quelle est l'historique des images virtuelles ?
La réalité virtuelle est une nouvelle science informatique. Les utilisateurs peuvent intervenir sur l'ordinateur sans recourir au clavier tout en étant impliqués dans un monde en trois dimensions que produit le computer. Cette technique est totalement neuve ; il y a seulement cinq ans, elle n'existait pas encore. Mais la réalité virtuelle n'en est qu'à ses balbutiements. En terme de qualité d'images, les résultats ne sont guère probants. Les vues sont lentes et manquent de détails. Avec Le Cobaye, Brett Leonard et les producteurs ont voulu propulser la réalité virtuelle dans le futur. Nous avons dû perfectionner brusquement nos techniques pour faire face aux demandes : remplacer le comédien principal par des images de synthèse par exemple, un truc révolutionnaire au cinéma.

Comment Angel Studios est-il parvenu à fabriquer ces images ?
Au départ, la fabrication de la réalité virtuelle est très semblable à l'animation en trois dimensions. On dessine d'abord les objets et les environnements, puis on utilise un programme spécifique qui permet de rentrer les informations, qui servent alors à la création digitale des "blue print". L'usage de nombreux programmes rend l'opération complexe. Au finish, on obtient un modèle en trois dimensions sur l'écran de l'ordinateur. On peut le faire avancer, reculer, grossir, sur simple commande vocale. Puis, on passe à l'animation à proprement parler. On place donc ces éléments dans l'espace et le temps comme pour une animation classique. Sur la prise 1, l'objet est dans telle position, sur la 2, dans telle autre position. L'ordinateur s'occupe alors de relier les plans en créant le mouvement de l'objet entre la prise 1 et la prise 2. Pour parvenir à créer un mouvement naturel, il faut énormément de prises. Après quoi, il est nécessaire d'assortir une texture à chaque élément, chaque surface. Si on veut qu'un objet ait une texture métallique par exemple, on rentre un programme dans l'ordinateur qui se charge lui-même de l'assigner sur l'objet de manière adéquate. Quant à la prise de vue, elle se fait de manière conventionnelle. On place la caméra, on choisit l'éclairage comme pour de véritables comédiens. Le computer simule la lumière en tenant compte de l'environnement. Cela donne une photographie très réaliste, mais totalement synthétique. Tout est divisé, compartimenté en petit morceaux. On procède systématiquement ainsi. Pour certaines séquences en particulier, on utilise des programmes différents dont les images sont intégrées par la suite à la première prise de vues. Par exemple pour la matière qui relie les deux amants synthétiques du Cobaye.

Comment êtes-vous parvenu à digitaliser le visage de Jeff Fahey avec autant de réalisme ? La réplique est troublante !
Nous avons photographié Jeff Fahey sous tous les angles et avec le plus d'expressions faciales possibles. Sur les clichés, nous avons ensuite dessiné une grille le décomposant point par point. On a rentré toutes ces informations dans l'ordinateur grâce à notre programme de modélisation. Au bout du compte, nous avons obtenu une quarantaine de reproductions synthétiques du visages de Jeff, chacune ayant une expression différente. La scène d'amour fut bien plus difficile à mettre au point car elle demandait un nombre incroyable de plans, vu que deux corps bougeaient simultanément et demeuraient en interaction avec la réalité. Cela devait être parfait.

Brett Leonard n'était-il pas un peu néophyte, maladroit, dans la compréhension de la réalité virtuelle ?
Travailler avec Brett Leonard fut, en fait, très facile. Nous avons discuté de chaque plan avec lui et les producteurs. Un dessinateur était présent à nos réunions et esquissait toutes nos suggestions. A la fin, nous avions un vrai story-board, clair et précis. Nous nous sommes lancés dans la bataille sur cette base. Chaque semaine, nous envoyions une cassette de notre travail à Brett Leonard et il la commentait par téléphone. Néanmoins, nous nous voyions souvent dans la mesure où notre laboratoire se trouve à San Diego,à seulement une heure trente de Los Angeles où il tournait avec les comédiens. Brett Leonard et ses collaborateurs étaient conscients que les limites de leur budget et les délais les contraignaient à faire quelques sacrifices. A vrai dire, Angel Studios ne possède qu'une toute petite structure. c'est un avantage propre à l'informatique. Le directeur technique touche un peu à tout. La réalisation, l'éclairage, l'habillage, le comportement des protogonistes... L'ordinateur est un outil capable d'accomplir le boulot d'une centaine d'opérateurs différents. Industrial Light and Magic utilise le même matériel que nous, mais avec trente personnes devant les écrans. A Angels Studios, nous ne sommes que cinq. Nos huit minutes d'images virtuelles pour Le Cobaye nous ont pris huit mois de travail intensif !

Produire des images virtuelles, ça coûte cher ?
Très très cher en vérité. Mais pour Le Cobaye, nous avons tourné en durée réelle ce qui limite les dépenses. Dans quelques années, un ordinateur spécialisé dans le virtuel travaillera au moins cent fois plus vite que nous et cela réduira les budgets. Lorsqu'un client nous demande quinze secondes de film, nous le facturons à la seconde. Mais fabriquer des images pareilles par l'intermédiaire de l'animation classique reviendrait infiniment plus cher encore. L'investissement dans le matériel est important et les gens qui savent le faire fonctionner demandent aussi des salaires conséquents.

Vous n'êtes pas la seule compagnie d'images virtuelles à avoir contribué au Cobaye. Pourquoi ?
Ce choix vient de Brett Leonard. Il tenait à ce que les séquences d'images virtuelles aient des looks différents. Nous ne savions pas ce qu'allaient faire les autres laboratoires. Nous en avons pris connaissance pour la première fois en visionnant le film terminé. Pendant la fabrication parallèle des scènes de réalité virtuelle, Brett Leonard faisait la liaison. Je pense qu'il a ainsi voulu tester les multiples possibilités qu'offrait cette nouvelle technique.

Quel est le plus important dans la réalité virtuelle ? La technique ou l'imagination ?
Les deux comptent énormément. Et on n'a pas l'un sans l'autre dans ce domaine. Si vous ne possédez que la technique, vous n'obtiendrez que de belles images mais sans véritable intérêt, sans émotion. Si vous avez des idées et que la technique foire, ce sera mignon, mais le manque de maîtrise vous obligera à vous limiter à des effets élémentaires. La réalité virtuelle deviendra sous peu une nouvelle forme d'expression artistique. Pour la façonner selon votre sensibilité, il est primordial d'apprendre, de connaître la technique. Dans vingt-cinq ou trente ans, les gens oublieront que les images virtuelles sont générées par des ordinateurs. Ils appréhenderont cela aussi naturellement qu'une peinture aujourd'hui !

Propos recueillis par Marc TOULLEC (Juillet 1992)


 
 

 


 

Bruno Estragués ©